J'adorais les récits d'accouchement... jusqu'à ce que j'accouche moi-même de notre premier enfant. J'avais beaucoup idéalisé cette première rencontre. Jamais je n'aurais imaginé que ce serait si dur. On avait décidé d'un accouchement à domicile. J'avais tout préparé dans notre studio. C'était vraiment un petit nid douillet, lumière tamisé, chaleureux, coussins, tentures... On avait installé le lit cododo qui nous avait coûté une blinde, et dans lequel la noisette n'a finalement jamais dormi.
Tout était prêt.
Le papa est militaire, et quand ça a commencé, il était à Draguignan, càd à 8h de transport de chez nous. Ca aussi, on s'y était préparé. Je savais que c'était possible que j'accouche sans lui.
Une après-midi, les contractions ont commencé tout doucement. Le soir, elles revenaient toutes les deux ou trois minutes et j'étais là toute seule chez nous, à tourner, excitée comme une puce en me demandant si c'était vraiment ça, si c'était "juste" du faux travail, et en même temps une sensation de malaise inexpliquée. Je me souviens de l'avoir appelé, il était sur le terrain, dehors, il était 22h loin de toute ville, de tout transport à proximité. J'étais relativement bien, mais lui était énervé, il a même versé quelques larmes de frustration, ce qui m'a beaucoup ébranlé. Pendant toute ma grossesse, on se disait que ce n'était pas grave, qu'il n'aurait pas besoin d'être là, que c'était une "affaire de femme", en fait j'avais surtout peur qu'il me voit accoucher et que ça change notre relation. En raccrochant, la sage femme est arrivée. C'était vraiment une belle soirée, je m'imaginais beaucoup accouché en soirée ou de nuit comme ça chez nous.
Mais je me suis laissée envahir par la peur et le doute, et j'avais peur de ne pas être à la hauteur. De qui, de quoi, je ne sais... La sf avait mis 1h30 pour venir, je ne voulais pas qu'elle soit venu pour rien. Et surtout tandis que nous étions toutes les deux à discuter, à voir comment les choses évoluaient, nous avons toutes deux senti qu'il manquait quelqu'un. C'était vrai. Sans mon mari, à un tel moment, je me sentais seule comme jamais. Sans lui je n'ai pas pu me détendre, et les contractions ont commencé à s'espacer. La sf m'a assuré que c'était tout aussi bien, que cela avait été utile de discuter, d'être ensemble. Je me suis couchée cassée de fatigue à 2h du matin, et pendant un demi-sommeil je sentais que ça reprenait. A 6h, ça a commencé à revenir très fort. J'ai attendu 10h avant de rappeler la sf, j'avais encore peur de l'appeler pour rien. Bien sûr mon mari a également été prévenu, il devait passer devant le capitaine pour obtenir une autorisation de quitter le stage (je sus plus tard qu'il se sera vu répondre "moi j'ai eu 6 enfants, je sais ce que c'est que le pré-travail, je te laisse pas partir" Bref gros c**) qu'il put finalement obtenir quelques heures plus tard.
Ma sf est arrivée vers 14h30, avec un ami ostéopathe (sur mon autorisation). Moi j'avais perdu toute confiance en moi. J'étais terrifié, j'avais peur que ça s'arrête, peur que ça continue... Ils ont été des piliers pour moi. A abattre l'une après l'autre chaque barrière psychologique, à crier avec moi, à m'accompagner, à ressentir avec moi. Mais c'était si long, si long... On écoutait le coeur du bébé toutes les demi-heures ça allait bien. Moi j'arrivais plus à me connecter à lui, j'étais terrifiée de ce qui se passait dans mon corps je voyais mont ventre "descendre vers le bas" et je subissais mes contractions. On m'avait dit qu'il fallait les accompâgner, qu'elles me guideraient vers mon bébé, je les haïssais, et je me détestais d'avoir pu penser que ce serait facile. J'étais à un point où je ne pouvais plus revenir en arrière, et où continuer était trop dur. J'ai voulu aller à l'hôpital. Ma sf m'a dit que ce n'était pas mon projet de départ, d'attendre encore un peu... De toute façon je ne me serais pas vu faire le trajet en voiture, je ne voulais plus bouger. Vers 18h mon mari m'a appelé: il était dans le train, il serait là vers minuit. "Ce sera déjà fini" j'ai dit. Je pensais être prêt du but... Ca a empiré jusqu'à minuit. Quand j'y repense... A un moment donné, ma sf m'a dit "il faut vraiment que tu lâches Julie, tu as été au bout" et j'avais si mal que je me retenais d'aller au toilette. Et puis, je me suis dit, foutu pour foutu, je vais peut-être mourir de douleur mais c'est la seule chose à faire. Et là, je me suis mise à hurler comme jamais (les voisins, qui n'étaient pas au courant, n'ont rien fait du tout -_- alors qu'ils ne pouvaient pas ne pas entendre!) et c'était la seule façon pour moi de laisser la douleur me traverser. J'ai commencé à pousser (on m'avait dit que ça soulageait... J'ai trouvé ça pire que tout) pareil je pensais que ce serait bientôt fini... On m'avait dit que la poussée n'était pas longue. Ca A duré 2h pour moi. Mon mari est arrivé à 1h15; le bébé est sorti à 1h57.
Il est arrivé dans une pièce sombre qui sentait le sang et la transpiration. Il s'est précipité sur moi et je lui ai sauté au cou. Je me suis supendu à lui et je ne dirai pas que ça a été plus facile. Seulement il était là. Et tandis que je criais, je l'entendais, secoué de sanglots, me dire que j'étais belle et qu'il était fier de moi. Quand la tête a commencé à sortir je me suis dit "ça sera difficile jusqu'au bout, la tête va rester coincer et je devrais encore pousser pour le reste" et non, la tête est sorti et tout le reste aussi. Et le soulagement est venu en premier, pas la joie de voir mon bébé. J"étais accroupi sur le sol, sous draps et couverture et notre fils P. était là, par terre, ma sf me disait, "prend le Julie, prend le dans tes bras" Et moi sonnée, qui lui disait "je ne peux pas je ne sais pas comment faire je vais lui faire du mal!"
Mon Dieu... Quand j'y repense. Moi qui me voyait en femme forte, capable d'aller chercher mon bébé et de le prendre contre moi. J'étais choquée, perclue de douleur, épuisée, mais surtout j'étais vraiment sous le choc.
C'est mon mari qui l'a pris et qui me l'a posé sur la poitrine. Je m'en souviens pas bien... Encore une chose que j'avais lu: les bébés à la naissance regardent leur mère. Pas le mien. Mais je ne saurais dire si j'ai cherché son regard. J'ai eu après coup beaucoup de culpabilité. L'impression de l'avoir complètement abandonné, tant je souffrais. L'avoir laissé seul. Les 24 1eres heures ont été très difficiles. Il n'arrivait pas à téter, moi je ne savais pas comment faire, on pleurait tout les deux... Et puis à un moment donné, je me suis forcée à me détendre, et il a pris le sein correctement. J'ai vraiment senti ce basculement. L'allaitement m'a vraiment permis d'établir un beau lien avec mon fils. Sans ça, ça aurait été plus difficile.
Je suis contente, après coup, d'avoir accouché à la maison. Je me suis sentie protéger et aider même si j'étais loin d'imaginer que ce serait aussi dur. A la maternité, je sais que les médecins auraient pris le relais, et j'aurais encore plus eu l'impression d'avoir échoué. Je sais pas pourquoi c'était si important pour moi de "réussir à accoucher"... j'avais envie que tout soit parfait, j'avais envie d'être une bonne mère dès le départ. Et l'accouchement m'a fait perdre tout ça. Que reste t-il dans la douleur? Une chose est certaine, si second enfant il y a, ce ne sera pas sans mon mari.