Cela fait longtemps que j'ai envie de partager avec vous le récit de l'accouchement de mon petit pirate. J'avais rédigé ce texte pour un blog, que je n'alimente plus depuis (le travail, la vie de famille, etc.
). Il y a alors des références que vous n'aurez pas, mais je pense que l'essentiel y est
: cette journée m'a laissé un ardent sentiment de puissance et de réalisation. J'espère vous le transmettre par le partage de ce texte, réalisé à chaud.
Pour celles qui recherchent des informations plus concrètes, j'ajoute des données factuelles à la fin de mon récit.
Bonne lecture à toutes, je suis plus qu'heureuse d'être accueillie sur ce merveilleux forum
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J'avais cru que ce serait le moment mercredi et puis dimanche. On m'avait annoncé lundi, et puis non :
mardi.
Mardi, on m'a dit aujourd'hui à 11h. J'attendais qu'on me laisse le choix, ou qu'on argumente le sien. Cela ne s'est pas passé ainsi. J'ai tourné en rond dans la chambre, peu de temps : 11h est arrivé, on est venu me chercher. Entre temps, j'avais vu la date, celle du solstice. Le presque palindrome m'a ravie.
C'était étrange de surfer ainsi sur la vague de l'
envie au dessus d'une mer d'
appréhension. Attention, l'accouchement sera déclenché, il faudra rattraper l'avance donnée par le
synto sur la
physio. On remplace le
c naturel et vaporeux du cirrus par le
x trash réservé aux adultes car aujourd'hui l'ocytocine qu'on élève aux nues (l'
amour, tout ça…) sera devancé par un oxytoxique.
On déguise l'Explorateur en chirurgien. Le bleu lui va bien. Ses yeux scintillent loin derrière son masque et sa charlotte. Il glisse dans des petits
chaussons faits en gaz. A moi aussi on propose une blouse : bleu pale avec des petits carreaux délavés et une belle fente dans le dos pour les fesses. Je la refuse, ne peut-on pas naitre en pantalon ?
Vous souvenez-vous du
pique-nique-douille ? De toutes évidences, je ne suis pas tombée sur douille, car on m'annonce qu'on m'a réservé la plus
belle salle de la clinique. Le soleil de la radieuse journée s'infiltre au travers d'un store léger et baigne la pièce dans une douce marée rose. C'est le thème de la pièce : le gris discrètement chatouillé par ce rose tantôt enveloppant ou vif pour éveiller nos sens. La baignoire, par exemple (ou devrais-je dire la mini-piscine) : quasiment
fushia. Quelle idée ! C'est la couleur des sex shops.
J'ai peur du cathéter que l'on me pose. On fait tout pour qu'il ne me gêne pas, mais c'est plus fort que moi : il
faut qu'il me dérange. Ce qui va entrer par là, c'est un semi-hostile avec lequel je vais devoir faire équipe malgré moi. La pompe est en route. Elle grince à intervalle régulier et je vois les bulles qui
avancent vers mon bras. « C'est parti. », dis-je du bout des lèvres à l'Explorateur. « C'est parti. », me dit ensuite la sage-femme avec un petit sourire. Je crois voir dans la
préciosité de ses gestes à mon égard toute la violence tue qui coule dans cette perfusion.
Y. arrive à ce moment. Elle a réservé toute sa journée pour nous assister dans cette venue au monde. Son entrée dans la pièce nous
détend. L'Explorateur ôte son déguisement, je le retrouve blagueur. Il en a de bonnes et Y. entre dans notre jeu. Les minutes s'égrainent, Y. monte doucement les chiffres sur le boitier de la pompe. Je me prépare mentalement. Puis, je suis prête. Je suis toujours prête. Voilà, c'est
imminent. Mes pensées et mon énergie sont toutes deux tournées vers ce seul objectif. Mais rien n'avance. Je m'arme de patience.
« Est-il possible que ça ne fonctionne pas ?, je demande.
— Je ne l'ai jamais vu, me répond Y. en souriant. »
Puis, au bout de plusieurs
heures, mes yeux osant s'aventurer du côté du cathéter et de ses quelques by-pass :
« Ont-ils bien ouvert les robinets ?
— A vrai dire, j'ai regardé il y a une heure… »
La patience laisse place à une certaine déception. Je crains que la jolie date ne lui échappe. Le solstice n'était pas encore passé lorsque Y. tente une première fois de fendre son œuf. Souple et collé, il lui
échappe et ne laisse aucune prise à son crochet. Je reste plutôt soulagée qu'il s'en sorte indemne. Néanmoins, les heures qui suivirent et le volume de
synto affiché sur le boitier eurent raison de moi : il était temps de lâcher prise. Y. va partir. Sa journée touche à sa fin. Sa consœur est en route. Y. prépare un second crochet et l'œuf se présente à elle. La nuit a largement eu le temps de tomber. Je souffle lentement et me prépare à sentir le liquide couler sous moi. Y. perce la poche, le
chemin se trace. Je le serre par deux fois, tarissant ainsi la source, avant d'être bien sûre de ce que je faisais.
Je me relève finalement. Je sens immédiatement que la naissance
nait dans mon corps. Je sens le liquide tiède couler encore lors de certaines contractions qui glissent avec lui mais se heurtent toutes
efficacement contre mon col. Je touche du bout des doigts les draps du lit. C'est le juste équilibre quand, les yeux clos, je dirige mon souffle délicat pour ne perdre aucune force de ces contractions tant attendues.
C. arrive et échange discrètement avec Y., elles s'écartent. Je sais que je vais devoir consacrer un peu d'énergie pour accepter le changement de sage-femme. Ce ne doit pas être une question de
personnalité, et pourtant j'y suis profondément sensible. Y. avait un pull doux et soyeux, elle parlait parfois si bas que je devais tendre l'oreille pour la suivre. C. porte une blouse sur des vêtements de travail roses. Son masque si large sur un visage si fin cache complètement son sourire. Et moi, que l'engrossement a rendu complètement
myope, je ne vois même pas ses yeux pétiller avec la distance physique qu'elle instaure.
Y. me propose une seconde séance d'acupuncture. Je refuse. Je comprends sa
déception de partir maintenant, après avoir usé tant de patience. Je ne veux pas qu'elle reste sur le pas de la porte trop longtemps. Plus vite le changement de sage-femme sera opéré, plus vite je pourrais reprendre mon accouchement.
C. ne se laisse pas démonter par ma réserve. L'attente de l'après-midi m'a laissé dans une certaine passivité. C. me
bouscule, elle voit peut-être des choses évoluer là où je voudrais m'enliser jusqu'à percevoir le très juste rythme. Ses propositions s'entrechoquent dans ma tête. J'opte pour la première qui me parle. Sans argument pour l'une plutôt que l'autre, je m'accroche à l'Explorateur qui se
prélasse sur le canapé. Je dis que je voudrais bien faire de même, mais je ne suis pas certaine que ce soit vrai.
L'idée est bonne cependant. Je m'allonge confortablement sur le canapé. La main de l'Explorateur, brulante, se pose contre ma cheville. Je ferme les yeux. Et les contractions me bercent et me moussent comme l'
écume contre la plage. Je laisse les choses se faire, hors de ma portée.
Petit à petit, je sens venir un inconfort que j'aimerais évacuer. J'hésite, si je me lève, je sais que ce moment de repos sera terminé. Alors je retiens un peu
trop.
N'y tenant plus, je clopine jusqu'aux cabinets. La potence du cathéter peine à rouler sur le lino de la clinique. Je dois la presque-porter pendant tout le trajet. J'aurais des suées à force de maladresse avec, au choix :
• les sondes du monitoring qui sautent vers le sol ou dans la cuvette,
• une feuille de papier toilette qui s'envole
loin de moi,
• la potence qui ne se rapproche pas.
Les contractions, à chaque échec, s'intensifient. Je dois accélérer. Et la maladresse prend en ampleur. Je parviens enfin à me relever de la cuvette. Le pantalon à la bonne altitude. Les sondes qui se maintiennent à peu près et le papier avalé par la chasse d'eau. Je porte la potence sur le retour, faisant profil bas devant les puéricultrices qui
rodent dans le couloir.
Là, C. me fait une nouvelle proposition. Je mélange mes bras, mes jambes, la droite et la gauche et mon double diabolique : la potence avec la pompe qui me tient par le cathéter ; je suis empotée et j'en perds tout bon sens. C. et l'Explorateur parviennent à m'installer contre un
ballon. Les contractions m'y surprennent. Je ne sais pas bien quoi faire d'elles. C. m'avait auscultée au retour des toilettes et m'avait dit : « Tu as fait ta part, maintenant c'est à lui de descendre. » Cela m'avait surprise, la dilatation qu'elle m'avait illustré entre son index et son majeur ne m'avait pas paru si important que cela. Ne parvenant pas à
comprendre ce que mon corps attend de moi, je cherche je cherche, je bouge ce que je peux, j'émets quelques sons timides, des presque soupirs. Ce rythme n'est pas le mien. Il est trop impitoyable, sans état d'âme. Serait-ce l'ocytocique ? C. remplit la mini-piscine rose. J'en voudrais presque à l'eau de faire tant de bruit, alors l'Explorateur éteint la musique, toute sensation est une
stimulation de trop à gérer.
Doucement, je compris que je devais marquer l'espace entre le bas de mon dos et mon bassin. Les contractions moulaient complètement la forme du petit à naitre. Il apparaissait pleinement à ma conscience. Je croyais reconnaitre la
silhouette de ses membres et de son corps. C'était comme voir l'ombre d'un être dans les éclairs sauvages d'un orage nocturne.
Je pourrais ici dire que je souffrais presque de la situation. Je ne bougeais pas suffisamment, toujours un peu en retard, mon souffle n'allait jamais
assez loin, et pendant ce temps là, la contraction, implacable, traçait son chemin malgré moi.
Soudain, la mini-piscine fut remplie. La mini-piscine,
ridicule ronde et rose comme si nous étions dans la maison d'une Barbie, me tendait les bras. Je me levais avec empressement, avec le mot
enfin! au travers de la gorge. Une contraction, il en fallait bien une, me retient juste devant la baignoire. Je pliai mes genoux l'un contre l'autre et soufflai comme pour faire passer un coup de marteau trop maladroit. Elle devait voir où je voulais en venir car la contraction s'
épuisa comme elle était venue.
Je me déshabillais avec fébrilité. C. déjoua les lois de la topologie pour m'aider malgré le cathéter. Nue à l'exception de la poitrine, je fus fin prête.
Je plonge.
L'eau est chaude. Quel bonheur !
Je
barbote.
Une contraction m'attrape là. Ma mobilité l'assouplie. Mon corps l'appréhende.
Une nouvelle contraction déjà. J'ai à peine le temps de dire tout mon
bonheur d'être là. En fait, je dois me presser de trouver comment aider à naitre pour ne pas souffrir.
A la suivante, je trouve la position. Sur la prochaine, je cale mon souffle. Je suis encore un peu en retard mais je sens que je
rattrape du terrain. J'ai de quoi répondre à mes spectateurs. Mais tout se joue à la seconde, il me faut rester concentrée. Je saisis finalement le son de la naissance.
Grave, infiniment grave, et long, qui s'enfonce dans mon corps jusqu'à sa sortie. Le petit à naitre l'utilise pour s'orienter, j'en suis persuadée, je le sens glisser dedans.
Puis, il me faut inspirer. Alors la douleur est vive. Personne ne veut que j'inspire. Je sens le processus qui se brise. Le petit qui
remonte, mon corps qui se vrille à l'intérieur. J'optimise mes inspirations pour qu'elles soient les plus brèves possible. L'
inspiration devient notre ennemi numéro un. Mon ambition est de la transcender.
A l'intérieur de moi, je touche le haut de la tête du petit qui vient. Je laisse C. faire de même juste pour partager. C.,
subtile, me demande si je veux sortir de la baignoire. Je refuse catégoriquement. Après quelques contractions supplémentaires, la désespérance m'attrape comme une claque. C'est le moment que choisit la pompe pour se couper, faute de batterie. Ma peur brutale de ne plus pouvoir accoucher est vivement remplacée par celle, bien plus dramatique, où l'on me demande de sortir de la baignoire pour approcher la potence d'une prise électrique. Hagards, mes yeux recherchent vivement une prise à portée de la baignoire. Je vois C. et l'Explorateur tranquilles éteindre l'alarme. Je crois que C. débranche le cathéter. Et puis je comprends : au point où nous en sommes, l'oxytocine est inutile. C. m'invite à me tourner vers l'Explorateur, mais je crois que j'ai autre chose à faire.
Des deux mains je
caresse la tête de mon petit. Au fur et à mesure que la contraction monte, je sens venir cette tête si douce entre mes paumes. Et après deux poussées rapides, je perçois les épaules s'échapper et finalement les jambes. Je vois son visage se
tourner vers moi dans l'eau, je saisis délicatement son corps pour le porter contre ma poitrine. Le petit tousse légèrement, je sais qu'il va respirer bientôt. Il crie délicatement. Puis son visage s'incline vers le monde pour en saisir la moindre particule.
Une naissance merveilleuse entre mes mains de mère.
Des serviettes surgissent tout autour de nous et nous enveloppent. Déjà il faut sortir et ne prendre pas froid. Surtout pas lui. Il est petit et
léger, je le sais déjà. Cela me conforte dans l'idée que sa date de naissance a été bien choisie.
On m'invite à sortir. Par précaution, j'aimerais qu'on tienne mon enfant le temps que je sorte de la mini-piscine. Bien vite, on me fait comprendre que ce n'est physiquement pas possible : nous sommes encore
reliés ! Sans trop d'efforts, je me relève et nous emmène sur le lit. L'Explorateur et C. me poussent à révéler le sexe de l'enfant, et du fait, son prénom. Je m'amuse à retenir l'information. Le petit est si beau, si doux, ses yeux si profonds, qu'attendent-ils de plus ? C. partage notre joie. Je lui suis reconnaissante pour tout ce qu'elle a su me proposer au cours de cette soirée.
J'accepte finalement de leur présenter mon enfant. Mais vous, avez-vous peut-être deviné, vous le connaissez déjà : il s'appelle
Sérendipe.
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Pour les infos concrètes promises :
Je faisais une pré-éclampsie, j'avais peur que mon petit ne grandisse plus assez bien du fait du mauvais fonctionnement de son placenta.
J'étais à 39 SA quand le gynéco (payé 2000€ ~, que je n'ai pas vu de la journée !!!) a décidé du déclenchement. J'étais d'accord, la pré-éclampsie m'inquiétait.
J'ai été invitée à la clinique à 8h du matin. Le déclenchement a été lancé à 11h. La poche des eaux a été percée à 18h. Mon petit était dans mes bras à 21h12 !!!
J'avais lu et la sage-femme me l'avait dit, que le déclenchement induisait une avance sur l'aspect physiologique de l'accouchement, que les contractions intenses pouvaient arriver avant que le corps et le mental soient bien raccords. Cette notion (avance à rattraper) ne m'a pas quitté de toute la journée, et pourtant j'ai attendu de nombreuses heures que les "choses" arrivent !
Effectivement, quand les contractions, les vraies, sont arrivées, elles ne me laissaient aucun répit. Je me suis appliqué à me fondre dans ce rythme intense. Quelle fierté j'avais quand j'ai senti, enfin, que mon corps et l'accouchement ne faisaient plus qu'un ! Je me souviens d'avoir dit à mon compagnon et la sage-femme : "ça y est, j'ai trouvé comment faire !" mon compagnon a dû me dire : "comment faire quoi ?", quel dialogue absurde
"Sérendipe", c'est le nom que je donnais au petit à naitre (et parfois, je le garde dans ma tête aussi ^^ ça lui va bien finalement).