Les recommandations médicales quant à l’introduction des solides ont toujours varié depuis la nuit des temps. Nourrir son enfant est néanmoins pendant longtemps resté l’apanage des mères, qui faisaient aussi avec ce qu’elles avaient à leur disposition : diversifier un enfant l’inscrit dans sa culture.
En observant leurs propres enfants allaités, les premières animatrices LLL, en 1956, ont conclu qu’un allaitement exclusif d’environ six mois leur convenait très bien. Progressivement, elles ont été rejointes en ce sens par l’UNICEF, en 1999, l’OMS, en 2001, ces deux instances n’ayant jamais depuis changé leurs recommandations.
En France, le PNNS le dit en 2005, dans la brochure Allaitement maternel, les bénéfices pour la santé de l’enfant et de sa mère.
Mais en 2011, un article de Fewtrell et al publié dans le British Medical Journal va mettre en question ce consensus international autour des six mois d’allaitement exclusif. L’article, qui fait polémique, aura un grand retentissement dans la presse internationale alors qu’il s’agit seulement d’opinions d’experts, ce qui, au niveau de la fiabilité d’une recommandation, est ce qui a le moins de valeur. De plus, trois des quatre experts ont des liens d’intérêt avec les firmes d’aliments pour bébés. Pour des raisons non fondées (que l’UNICEF UK va aussitôt critiquer), ils proposent de diversifier à 4 mois.
Puis d’autres études, très médiatisées elles aussi mais toujours avec des biais faussant les résultats, contibueront à jeter encore plus le trouble sur l’âge d’introduction des solides. Par exemple, les mères entendent souvent dire que, pour prévenir les allergies, il faudrait introduire tous les aliments entre 4 et 6 mois. Or les études se suivent et se contredisent. Ainsi, en 2005, l’introduction du gluten (contenu dans le blé, le seigle, l’orge, l’avoine) est recommandée entre 4 et 7 mois, en petites quantités, alors que l’enfant est toujours allaité et avec la poursuite de l’allaitement pendant encore au moins deux ou trois mois. Ces recommandations visent alors à prévenir la maladie cœliaque chez des enfants à risque (Norris 2005, voir les références à la fin de l’article). Ces recommandations sont immédiatement étendues à tous les enfants, à risque ou non de cette maladie.
En 2014, une nouvelle étude (Lionetti et al), beaucoup moins médiatisée, conclut que « parmi les différents facteurs étudiés (introduction du gluten avant 6 mois ou après 12 mois, allaitement ou non), il est très clair que c’est le bagage génétique qui est de loin le plus important pour déterminer quels enfants développeront une maladie cœliaque. » Rien ne presse donc pour introduire le gluten, exit la « fenêtre d’opportunité » entre 4 et 7 mois. Mais comme il est difficile de suivre les évolutions de la recherche, beaucoup de professionnels de santé en sont restés à l’étude de 2005.
En 2018, il semble y avoir consensus sur le fait que le gluten doit être introduit en petites quantités aux environs de 6 mois : un croûton pas trop frais, pas la baguette entière !
Autre point : pour prévenir les allergies, certains allergologues recommandent d’introduire les aliments allergéniques (lait de vache, arachide, blé, poisson, oeuf, sésame…) à 4 mois. Mais comment fait-on avec un bébé allaité qui n’est pas prêt à se diversifier, et une mère qui veut continuer à allaiter ? Il n’y a plus aucun bon sens, et les multiples autres avantages de l’allaitement exclusif pour la mère et l’enfant sont ignorés. Ne peut-on considérer que, dans la mesure où certaines molécules présentes dans l’alimentation de la mère passent dans le lait (et passaient déjà dans le liquide amniotique), ce qui permet à la majorité des enfants allaités d’acquérir une tolérance face à ces aliments (ou malheureusement, pour quelques-uns, de développer une allergie), la diversification alimentaire commence, en fait, en même temps que la vie ?
La SFP continue de préconiser une diversification à partir de 6 mois : « L’allaitement maternel peut être poursuivi jusqu’à l’âge de 2 ans ou plus, à condition d’être complété par la diversification alimentaire à partir de 6 mois » (SFP 2013). Et : « Chez l’enfant sain, né à terme, que l’enfant soit allaité ou reçoive une préparation pour nourrissons, il n’y a pas de justification nutritionnelle à lui donner un autre aliment que le lait, idéalement maternel, avant l’âge de 6 mois ; il est recommandé de poursuivre l’allaitement pendant et après l’introduction de la diversification » (Archives de Pédiatrie 2015, voir les références).
L’ANSES, en 2016, recommande elle aussi de ne commencer la diversification alimentaire qu’à partir de 6 mois. Après 6 mois, l’Agence rappelle la recommandation générale de diversifier le régime alimentaire et les sources d’approvisionnement.
Dans le nouveau carnet de santé, sorti en février 2018, les repères d’introduction des aliments, qui se basent sur les recommandations du dernier PNNS, indiquent pour tous les aliments : « consommation recommandée » à 6 mois (« possible » pour certains à 4 mois).