Hello,
Cela fait plusieurs jours que ce post me trotte dans la tête. Je suis triste et atterrée de lire certains témoignages, qui montrent à quel point certaines d'entre vous reçoivent encore si peu de soutien. Je me souviens d'une conférence sur la santé mentale en postpartum où l'un des chercheurs était venu faire une présentation sur la psychose, en expliquant que, pour les femmes, il y avait 20x plus de risque de vivre un épisode psychotique dans la semaine suivant l'accouchement que durant le reste de leur vie (c'est pas exactement 20x le chiffre, mais c'était cet ordre d'idée). Et il disait en substance : "Vous vous rendez compte, 20x ? Si les cardiologues avaient identifié une fenêtre de 7 jours dans nos vies où l'on avait 20x plus de risque de faire un arrêt cardiaque cela ferait longtemps que ladite fenêtre serait sous haute surveillance, avec dépistage systématique etc... Mais comme il ne s'agit que de la santé mentale des femmes, tout le monde s'en fout". Bref, je m'égare et j'envoie vraiment toutes mes pensées les plus tendres à celles qui traversent une DPP ou flirtent avec le diagnostic. Je vois pas mal de questions qui trainent, alors je me permets de transmettre quelques éléments car je travaille dans le domaine.
La DPP correspond à un trouble dépressif caractérisé, dont l'apparition survient dans les 12 mois suivant l'accouchement (certains disent 1 mois mais personnellement je suis en désaccord sur ce point). On parle de dépression POST-partum mais dans 50% des cas l'épisode dépressif est déjà présent en anténatal.
Les symptômes doivent être présents durant au moins deux semaines et sont, entre autres, les suivants :
- Humeur dépressive (se sentir vide, triste, sans espoir) la majeure partie du temps. Mais également : irritabilité, sautes d'humeur, pleurs.
- Perte d'intérêt ou de plaisir. Repli sur soi.
- Perte/gain de poids/d'appétit importante.
- Insomnie ou hypersomnie (bon ça c'est clair que ce n'est pas le plus simple à évaluer dans le contexte périnatal...).
- Fatique ou perte d'énergie.
-
Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (je le mets en gras parce que c'est un symptôme que l'on n'identifie pas comme tel et pourtant si, il suggère bien une DPP - mais il faut souvent une personne extérieure pour mettre les mots là-dessus car quand on traverse une DPP on ne peut généralement pas voir que notre culpabilité est "excessive" ou "inappropriée").
- Diminution de l'aptitude à penser, à se concentrer, indécision.
- Pensées de mort, idées noires.
Je n'ai pas mis tous les symptômes mais cela brosse déjà un portrait. À noter qu'il n'y a pas besoin de TOUS les avoir (pour répondre
@Nienna : on peut donc avoir une DPP sans cocher la case "fatigue"), mais il faut en avoir un certain nombre. Le diagnostic peut être difficile à poser car certains symptômes sont délicats à évaluer dans le contexte du postpartum, notamment car la privation de sommeil peut "mimer" des symptômes dépressifs. Certaines plaintes somatiques peuvent aussi interpeller : maux de tête, maux de ventre, etc...
Beaucoup de pros du champ périnatal, SF et gyn-obs, ont aussi tendance à confondre cette pathologie avec d'autres (ou à ne pas voir qu'il y a une DPP ET autre chose) : trouble anxieux, psychose puerpérale... Le grand oublié : le trouble du stress post-traumatique lié à l'accouchement, qui se caractérise typiquement par des symptômes de DPP mais dont l'étiologie (et donc le traitement) sont bien différents. On va souvent retrouver en plus : intrusions (flashbacks) dans lesquelles on revit l'accouchement, cauchemars, hypervigilance (sursauts, vérifications +++, etc...).
Il faut passer par un soignant (bien formé) pour obtenir un diagnostic fiable. Vous pouvez faire un premier dépistage avec l'échelle d'évaluation de la dépression postnatale d'Edinburgh, que vous trouverez par exemple ici :
https://www.esantementale.ca/index.php?m=survey&ID=46. Je déconseille l'auto-diagnostic pour les raisons pré-citées, mais les résultats de ce questionnaire peuvent déjà mettre la puce à l'oreille ou donner un peu plus de force pour aller sonner les cloches de pros de santé autour de vous.
Quelques facteurs de risques qui augmentent la probabilité de développer une DPP : antécédent de dépression ou de maladie psy, symptômes de dépression pendant la grossesse, diabète gestationnel, complications pendant la grossesse ou l'accouchement, précarité socio-économique, manque de soutien social ou de soutien du co-parent (pardon mais quand, je lis certaines histoires, je me dis qu'il y a vraiment des baffes qui se perdent #Les GrandsMèresToutesPourraves, #LesPapasEgoistes, #LesCollèguesQuiPuentDuC).
Dans tous les cas : la DPP est malheureusement commune (elle toucherait un peu moins de 20% des mères !) et il faut la prendre au sérieux : le suicide est l'une des principales causes de mortalité maternelle dans l'année suivant la naissance. Même si cela reste une issue rare, cela illustre quand même combien il est important de demander de l'aide si vous avez l'impression de traverser une épisode dépressif
La DPP est une maladie comme une autre en cela que la personne malade n'en n'est pas responsable et qu'elle mérite un traitement approprié. Elle ne dit RIEN des qualités parentales
Une chose qu'il me tient aussi à coeur de dire est qu'il ne faut pas sous-estimer notre capacité à nous habituer à la souffrance. La DPP s'installe insidieusement et on fini par penser que c'est normal d'avoir des idées noires, d'être tout le temps sur les nerfs, de se sentir comme une moins que rien, de ne plus rire ou de n'avoir plus d'intérêt pour rien... Non, ce n'est absolument pas normal. Et oui, on peut s'en sortir !
Pour répondre à quelques questions que j'ai vu passer (désolée si je ne cite pas les pseudos).
- Dépression et déprime : dépression = pathologie correspondant à un ensemble de symptômes précis. On pourrait dire que la dépression se distingue de la déprime car les symptômes sont plus nombreux, plus sévères, et surtout plus persistants.
- Sur le rapport au bébé (est-ce que DPP = idées "hostiles" envers son bébé/affecte notre rapport à notre enfant ?) : c'est propre à chacune. Cela ne rentre pas en tant que tel dans les critères diagnostic. Effectivement, une mère souffrant de DPP peut présenter des pensées négatives envers son enfant, envie de la balancer par la fenêtre, etc... Mais certaines femmes ne souffrant pas de DPP peuvent aussi vivre cela.
Concernant le traitement : Bon, déjà ça me tiendrait à coeur que l'on aille beaucoup plus loin, au niveau sociétal, sur la prévention. Sensibiliser en anténatal, former les pros plus correctement, suivre de plus près les femmes avec des facteurs de risque, identifier à l'avance les personnes ressources qui pourront soutenir la maman, etc... Mais en l'occurrence ici on n'est plus tant sur le versant préventif. Bref. Plusieurs angles d'attaque .
- 1. Mode de vie/"self-help" (ne me lancez pas des tomates, je sais que ce sont des mesures difficiles à mettre en place et que c'est le principe même de la dépression, encore plus quand il y a un bébé dans la boucle... Mais cela peut donner des pistes, des idées de choses à mettre en place, même par petits bouts... Tout petit pas est déjà précieux, et ça peut aussi aider à se faire aider, dans le sens où ça peut donner des idées de choses à demander à votre entourage pour qu'il puisse vous soutenir efficacement) (oui, la concision n'est pas mon fort) : parler à ses proches, aller à des évènements sociaux, sortir, dormir, manger sain, bouger. Ne pas chercher à être une "super-mère", ne pas prendre en charge toutes les tâches domestiques de front, demander de l'aide autour de soi (oui c'est difficile, ce qui m'amène au point suivant).
- 2. Psychothérapie. Traitement de première intention. Les thérapies les plus recommandées à l'heure actuelle pour la DPP sont les thérapies cognitivo-comportementales. On recommande également la thérapie interpersonnelle. Les personnes qualifiées pour proposer ces thérapies sont des psychologues et psychiatres ayant suivi les formations correspondantes. Vigilance concernant les coach energético-corpo-psycho-machin-truc...
- 3. Traitement médicamenteux. Certains antidépresseurs sont compatibles avec l'allaitement, certains anxiolytiques également. Mais il est fortement recommandé d'avoir un suivi psychothérapeutique pour potentialiser et pérenniser les effets du traitement médicamenteux. Pour info, les effets des antidépresseurs ne commencent à se voir qu'environ 2 à 3 semaines après le début de la prise, qui est quotidienne. À prendre en compte
S'ils sont bien prescrits et si leur prise est correctement suivie, il n'y a pas de risque de dépendance. Il serait vraiment dommage de se priver de cette aide précieuse en raison d'a priori erronés. Ne pas hésiter à en parler avec un médecin. Pour les généralistes frileux en raison de l'allaitement --> CRAT et E-lactancia. L'un des grands intérêts des antidépresseurs est que, en aidant à améliorer l'humeur et à retrouver un fonctionnement un peu plus apaisé, on redevient capable de mettre en place les choses du point 1, c'est un cercle vertueux. Idem concernant la psychothérapie.
Selon les cas, une hospitalisation, notamment dans les unités mères-bébé, peut apporter une vraie bouffée d'air. Mais, on ne va pas se mentir, les places sont rares et donc souvent réservées à des situation très sévères.
Je voulais aussi mettre quelque part dans ce message que le DPP touche aussi le co-parent. On pense qu'environ 10% des pères sont concernés, et ceux dont les compagnes vivent une DPP sont particulièrement à risque. Cela me parait important dans la mesure où il est difficile de soutenir une maman DPP quand on est soi-même en plein dedans.
Voilà, pardon pour le très long message, j'espère qu'il peut apporter quelques clarifications. Certains de mes collègues désapprouveraient que je "balance" tous ces éléments car il est important de donner les informations en les contextualisant et en les rapportant à la situation, toujours singulière, des patientes. Mais je pars du principe que la connaissance donne du pouvoir et peut, je l'espère, permettre à certaines de se rendre plus audibles auprès de leur entourage, de leurs professionnels de santé... et d'elles-mêmes.
Plein plein de soutien à distance, vous êtes au bon endroit pour échanger dans la bienveillance avec d'autres femmes qui comprennent ce que vous traversez