Jeûne pré-opératoire chez le jeune enfant : les recommandations actuelles
Feed the babies. SC Nicholson, MS Schreiner. Babs 8/95. Mots-clé : jeûne pré-opératoire, allaitement, inhalation pulmonaire, anesthésie.
Le passage du contenu gastrique dans les poumons représente une complication rare mais sévère de l'anesthésie générale (Tiret L et al ; Complications related to anaesthesia in infants and children, a prospective survey of 40240 anaesthetics, Br J Anaesthesiol 1988, 61 : 263-9). Pour minimiser le risque, on recommande un jeûne d'au moins 8 heures avant une intervention chirurgicale. Les bébés représentent un groupe pour lequel ce temps de jeûne pourrait être raccourci. Pour que l'inhalation du contenu gastrique puisse se produire, le contenu stomacal doit d'abord être régurgité, puis aspiré dans les poumons. Le vomissement est un phénomène complexe, qui se produit lorsque la pression intragastrique devient supérieure à la pression développée par le cardia. Les patients qui n'ont pas ou peu de liquide dans leur estomac au moment de l'induction de l'anesthésie peuvent toutefois régurgiter un volume important de liquide intestinal, et les patients dont le pH gastrique est acide peuvent vomir un liquide qui aura été neutralisé par l'absorption d'une faible quantité d'aliments. Les facteurs qui augmentent le risque de régurgitation sont la grossesse, l'obésité, la chirurgie en urgence, les troubles de la motilité stomacale, et la replétion stomacale.
Les patients sont définis comme étant "à risque" s'il ont un volume stomacal résiduel supérieur à 0,4 ml/kg, avec un pH inférieur à 2,5 au moment de l'aspiration. Une étude pratiquée sur des singes rhésus a montré qu'un minimum de 0,8 ml/kg de liquide gastrique acide était nécessaire pour induire des lésions pulmonaires mortelles, ce volume de liquide représentant non le volume présent dans l'estomac, mais celui injecté directement dans les poumons (Raidoo et al, Critical volume for pulmonary acid aspiration : reappraisal in a primate model ; Br J Anaesth 1990). Chez le chat, le volume gastrique minimal pour entraîner une régurgitation était de 20 ml/kg (Plourde G et al, Aspiration pneumonia, assessing the risk of regurgitation in the cat ; Can Anaesth Soc J 1986). En conséquence, bien que l'on connaisse bien le risque de lésions pulmonaires lié au passage de liquide acide dans les poumons, aucune donnée scientifique ne permet actuellement de justifier la limite de 0,4 ml/kg citée plus haut. Il est impossible, dans l'état actuel des connaissances, de savoir quel est le volume gastrique susceptible d'induire des lésions pulmonaires. De plus, ce volume gastrique résiduel n'est que l'un des aspects du problème.
Chez les bébés, ce passage pulmonaire est rare, en dépit du fait que le volume gastrique résiduel soit très souvent important, même après un jeûne prolongé ; cela permet de douter du bien fondé de la fixation d'un volume limite. Alors que les aliments solides quittent lentement l'estomac suivant une courbe linéaire, la vidange gastrique des liquides est très rapide (demi-vie gastrique d'un liquide : 10 à 20 mn), et cette vidange se fait suivant une courbe exponentielle. Cela permet de remettre en question les recommandations encore couramment faites pour la préparation chirurgicale des bébés. Une série d'études faites autour des années 90 a comparé des bébés qui soit jeûnaient pendant le temps recommandé, soit recevaient des liquides clairs jusqu'à 2 heures avant l'anesthésie. Dans les résultats obtenus, rien ne permettait de penser que l'absorption de liquides clairs jusqu'à 2 heures avant l'anesthésie avait un quelconque impact sur le volume ou l'acidité du contenu gastrique résiduel (Sandhar BK et al, Effect of oral liquids and ranitidine on gastric fluid volume and pH in children undergoing outpatient surgery, Anesthesiol 1989, 71 : 327-30 ; Slinter WM et al, The effect of preoperative apple juice on gastric content, thrist and huger in children, Can J Cnaesth 1989, 36 : 1-3 ; Splinter WM et al, Unlimited clear fluid ingestion two hours before surgery in children does not affect volume ou pH stomach contents, Anaesth Intensive Care 1990, 18 : 522-26 ; Litman RS et al, Gastric volume and pH in infants fed clear liquids and breast milk prior to surgery, Anesth Analg 1994, 79 : 482-85).
Dans la pratique, ce protocole pré-opératoire beaucoup plus souple s'est en outre avéré être beaucoup plus facile à gérer pour les enfants et leur famille. Toutefois, beaucoup de bébés exclusivement allaités au moment où la chirurgie doit être pratiquée refusent de boire tout liquide autre que le lait maternel. Diverses études ont montré que la vidange gastrique était plus rapide pour le lait maternel que pour le lait industriel (Tomomasa et al, Pediatrics 1987). De plus, une étude (Litman, Anesth Analg 1994) a montré qu'il n'existait aucune différence dans le volume gastrique résiduel ou son pH chez des enfants de moins d'un an qui avaient reçu soit des liquides clairs soit du lait maternel peu avant l'anesthésie. Cette étude concluait que l'allaitement pouvait être poursuivi jusqu'à trois heures avant l'anesthésie ; toutefois, cette recommandation n'était basée, là encore, que sur la détermination d'un volume gastrique résiduel. Cela pose deux questions ; tout d'abord, est-il vraiment nécessaire de fixer un volume gastrique résiduel comme limite arbitraire pour définir le risque de passage pulmonaire, sans se préoccuper des autres facteurs de risque ; ensuite, disposons-nous réellement de données fiables sur la vidange gastrique du lait maternel. Etant donné que les résultats de Litman étaient similaires chez tous les enfants, il serait logique de conclure que l'allaitement peut être poursuivi jusqu'à deux heures avant l'anesthésie.
Dans la mesure où ces études portaient sur un petit nombre d'enfants, on peut considérer qu'il est prudent de garder une marge de sécurité tant que l'on ne dispose pas de davantage de données. Toutefois, étant donné qu'aucune augmentation du risque d'aspiration n'a été observé chez les jeunes enfants qui recevaient des liquides clairs à volonté jusqu'à deux heures avant l'anesthésie (Schreiner MS ; preoperatice and postoperatice fasting in children ; Pediatr Clin North Am 1994, 41 : 111-20), il est probablement possible d'être encore moins restrictif. Il serait nécessaire de se pencher aussi sur les autres facteurs jouant un rôle dans ce phénomène d'inhalation pulmonaire.
Exemple de consignes de jeûne préopératoire
Solides
Anesthésie programmée le matin
La veille de l'intervention, dîner léger
Jeûne strict pour les aliments solides impératif à partir de minuit (comprend les bonbons, le lait du commerce courant, les jus de fruit contenant de la pulpe, les chewing-gum)
Anesthésie programmée après 14 heures
Un petit déjeuner léger peut être pris le matin avant 7 heures. Plus d'alimentation par la suite.
Liquides
Les liquides clairs peuvent être bus jusqu'à 2 heures avant l'anesthésie. La quantité habituellement recommandée est de 10 ml/kg. Par boissons claires, on entend : eau, sirop à l'eau, jus de fruit sans pulpe, bouillon, tisane, thé, café.
Alimentation lactée
Allaitement maternel : le lait maternel peut être donné jusqu'à 2 à 3 heures avant l'anesthésie.
Alimentation au lait industriel : l'heure de la fin du dernier . biberon est fixée à 4 heures avant l'anesthésie.