Alcool
Si l’on ne peut indiscutablement pas recommander la prise régulière d’alcool pendant l’allaitement, il n’existe pas non plus d’arguments réellement fondés permettant de déconseiller formellement une consommation occasionnelle.
Selon l’Académie américaine de pédiatrie, « les mères qui allaitent devraient éviter de boire de l’alcool, car il se concentre dans le lait et peut inhiber la lactation », mais « la prise occasionnelle d’une boisson alcoolisée lors d’une fête est acceptable, si l’on attend deux heures après la prise pour allaiter » (Breastfeeding and the Use of Human Milk, 2005).
Ce qui passe dans le lait
L’alcool passe dans le lait, où il se retrouve à un taux similaire à celui présent dans le sang.
Divers facteurs influencent ce passage : degré alcoolique du liquide ingéré, rapidité avec laquelle il est ingéré, quantité d’alcool absorbée, le fait que l’estomac soit vide ou non, le poids de la mère et sa masse grasse.
La réponse à l’ingestion d’alcool est différente chez les femmes allaitantes et chez les femmes non allaitantes. Une étude a montré que la biodisponibilité de l’alcool était moindre chez les femmes allaitantes : le pic sanguin serait moins élevé, et l’élimination plus rapide.
La présence d’aliments dans l’estomac ralentit l’absorption de l’alcool, surtout si ces aliments sont riches en graisses.
L’alcool est métabolisé par le foie à une vitesse fixe ; le temps nécessaire à éliminer l’alcool suivra donc une courbe linéaire en fonction de la quantité d’alcool absorbée. Le pic lacté est observé au bout de 30 à 60 minutes si l’alcool a été consommé à jeun, et au bout de 60 à 90 minutes s’il y a eu prise d’aliments.
La baisse du taux lacté est parallèle à celle du taux sérique : quand le taux sanguin d’alcool baisse, l’alcool présent dans le lait repart dans le sang (phénomène de filtration rétrograde).
Tirer le lait n’a strictement aucun impact sur la rapidité d’élimination de l’alcool.
L’impact sur le réflexe d’éjection et la production de lait
L’impact négatif de l’alcool sur le réflexe d’éjection est connu depuis longtemps. Une étude datant de 1973 avait constaté qu’une dose d’alcool comprise entre 1 et 1,5 g/kg absorbée sur une courte durée bloquait le réflexe d’éjection chez environ 50 % des femmes, et l’inhibait partiellement chez les autres. Des doses comprises entre 1,5 et 2 g/kg bloquaient le réflexe d’éjection chez 80 % des femmes, et ce blocage était total chez 100 % des femmes avec des doses d’alcool supérieures à 2 g/kg.
L’équipe américaine du Pr Mennella, qui a mené plusieurs recherches sur le sujet, a pu constater que la prise d’alcool abaissait modestement mais significativement la quantité de lait que la mère pouvait tirer deux heures après cette prise ; que l’enfant absorbait moins de lait au sein pendant les quatre heures qui suivaient la prise d’alcool par la mère, mais en absorbait davantage entre 8 et 16 heures après cette prise ; que cette moindre consommation n’était pas due au fait que l’enfant n’en aimait pas le goût.
Une étude faite par cette équipe en 2005 a montré que pendant les quelques heures qui suivaient l’absorption d’alcool, le taux d’ocytocine (l’hormone qui déclenche le réflexe d’éjection) baissait d’en moyenne 78 %, tandis que le taux de prolactine (l’hormone responsable de la fabrication du lait) augmentait d’en moyenne 336 %. La baisse du taux d’ocytocine avait pour corollaire une efficacité moindre du réflexe d’éjection : il était retardé, et le volume de lait tiré par la femme était moins important. L’augmentation du taux de prolactine était corrélé à une sensation d’euphorie, et était susceptible d’augmenter transitoirement la production lactée (sensation de seins « plus pleins » rapportée par les mères).
La prise d’alcool avait donc un impact transitoire significatif et opposé sur les deux principales hormones de l’allaitement. Le principal résultat était une plus grande difficulté à déclencher le réflexe d’éjection, et une moindre quantité de lait obtenue lorsque la femme tirait son lait dans les quelques heures qui suivaient la prise d’alcool, en dépit du fait qu’elle se sentait plus détendue et euphorique.
En cas de prise d’alcool importante, le principal problème auquel risque d’être confrontée la mère allaitante est donc un superbe engorgement pouvant persister pendant des heures, car les seins se remplissent et le lait ne peut pas en sortir.
Les effets sur l’enfant
À court terme, l’absorption par la mère d’une dose d’alcool inférieure à 1 g/kg d’alcool pur ne posera généralement aucun problème au bébé allaité. Un cas d’« ébriété » a été rapporté chez un bébé de 8 jours dont la mère avait absorbé 750 ml d’apéritif en l’espace de 24 heures. Cette quantité d’alcool peut effectivement représenter une dose importante pour un petit nourrisson, dont les capacités métaboliques sont moindres que celles d’un bébé plus âgé.
On manque d’études sur les effets à long terme d’une prise régulière d’alcool par la mère allaitante sur le développement neurologique de l’enfant. Les quelques études qui existent se contredisent, certaines faisant état d’un moins bon développement, d’autres ne notant rien de tel. Néanmoins, le principe de précaution et ce qu’on sait aujourd’hui de l’effet de faibles doses d’alcool chez l’adulte inciteraient plutôt à l’abstinence.
Pour les prises occasionnelles, les spécialistes conseillent généralement de prévoir d’allaiter le bébé juste avant de commencer à consommer de l’alcool, et d’attendre un certain temps (deux heures donc pour l’AAP) avant de le remettre au sein. On peut éventuellement tester son lait pour connaître le taux d’alcool grâce à l’alcootest pour lait maternel (vendu par Mamanana), ou se baser sur un tableau canadien qui donne, selon le nombre de verres absorbés et le poids de la mère, le temps nécessaire pour l’élimination de l’alcool du lait maternel (visible par exemple ici :
http://www.meilleurdepart.org/resources/alcool/pdf/desk_reference_fre.pdf).
La mère pourra prévoir de tirer son lait auparavant, pour le donner ou le faire donner à son bébé dans l’intervalle si nécessaire (et prévoir qu’une autre personne s’occupe du bébé en cas de « cuite »). Plus le bébé est petit, plus il faudra être prudent.