Cet article a paru dans Allaiter Aujourd'hui n°58, LLL France, 2004
Le point sur...
les selles du bébé allaité
Dans l'utérus, le fœtus boit du liquide amniotique en permanence, environ 150 ml / kg. Ce liquide a le goût et l'odeur de ce que mange sa mère. In utero, le fœtus perçoit les odeurs et il développe son goût. Ses reins fonctionnent et il urine dans le liquide amniotique. Ce dernier est composé d'eau et de déchets cutanés provenant de la desquamation de la peau et digérés par l'intestin. Dès quatre mois de grossesse, l'intestin se remplit d'une substance noir verdâtre, produit du métabolisme du foie et des résidus non assimilables : le méconium. Il n'y a pas d'émission de selles au cours de la vie intra utérine, sauf en cas de souffrance fœtale. Ce méconium noir, visqueux, filant, inodore est normalement émis dans les 24 premières heures, parfois dans les minutes qui suivent la naissance.
Le colostrum, de par sa composition, est laxatif et des tétées nombreuses vont aider à son expulsion. Cette évacuation rapide va permettre de minimiser l'importance de l'ictère (ou jaunisse, terme parfois encore utilisé) dit " physiologique ". En effet, le méconium contient de la bilirubine, produit qui provient de la dégradation de l'hémoglobine des globules rouges et qui donne sa coloration jaune à la peau des nouveau-nés ictériques. Plus vite le méconium sera éliminé, moins la bilirubine de l'intestin pourra être déconjuguée par un enzyme et réabsorbée dans l'organisme et moins l'enfant sera ictérique.
La transition entre le méconium et les selles normales se fait en trois à cinq jours en fonction du nombre de tétées efficaces de l'enfant. Un retard dans cette évolution demande une évaluation précise de l'allaitement pour s'assurer que le nouveau-né boit suffisamment de lait maternel et que la lactation est bien stimulée.
Une fois que le lait est arrivé en abondance (la " montée de lait "), c'est-à-dire aux environs du troisième jour, le nouveau-né devrait éliminer au moins 2 à 3 selles par 24 h. Elles sont jaunes, couleur œuf brouillé ou moutarde, exceptionnellement tirant vers le vert, abondantes, molles ou même liquides (ce n'est pas de la diarrhée). Des taches sur la couche ne suffisent pas. Bien souvent, il émettra des selles à chaque tétée à cause d'un réflexe gastro-colique : quand l'estomac se remplit et que la digestion commence, l'intestin se contracte et se vide.
Il est facile au jour le jour de surveiller les " sorties " du bébé qui correspondent aux " entrées ", c'est-à-dire à la quantité de lait qu'il boit. S'il y a beaucoup d'entrées de lait maternel, il y aura logiquement beaucoup de sorties - urines et selles - et la courbe de poids sera donc ascendante. Cette surveillance permet de réagir rapidement : si l'on constate moins de cinq à six couches mouillées d'urine et moins de trois couches souillées de selles par 24 h, c'est que l'enfant ne reçoit pas assez de lait et la conduite de l'allaitement est à revoir rapidement avec une personne compétente en allaitement avant que la stagnation ou la chute de poids ne vienne confirmer le manque de lait .
Les selles sont fréquentes, plusieurs par jour, les 4 à 6 premières semaines de vie. Puis, de façon assez soudaine, sur quelques jours, certains enfants peuvent présenter ce que l'on appelle des selles rares d'enfant au sein. Ils font des selles tous les trois, quatre, huit jours et même parfois de façon encore plus rare. A notre connaissance, il n'y a pas pour l'instant d'explication à cette particularité de l'enfant allaité de plus de 4 à 6 semaines.
L'enfant a donc plus de 1 mois, il est allaité exclusivement, va bien, supporte sans aucun trouble de ne pas aller à la selle. Il n'est pas ballonné, ne vomit pas, a des gaz, ce qui démontre qu'il n'est pas en occlusion. Il urine très bien, comme d'habitude, car il boit comme d'habitude, il continue à grossir, ne se plaint de rien. Simplement, les jours passent et il n'émet pas de selles. En général l'inquiétude parentale augmente jusqu'au jour où les selles arrivent, et là il vaut mieux prévoir un bain et un paquet de couches car il y en aura de la tête aux pieds ! C'est l'abondance des selles, qui doivent toujours être molles, qui confirme que cette situation est bénigne. Et le fait que ces selles soient volumineuses contredit l'hypothèse émise par certains que l'enfant absorberait tout ce qui lui est apporté par un lait maternel très digeste. Cela va se répéter à plusieurs reprises, et puis les selles redeviendront plus fréquentes sans que l'on puisse comprendre pourquoi.
La plupart du temps, cela ne sert à rien que les mères boivent des litres d'eau Hépar, ou de jus de pomme, car l'enfant n'est pas constipé, ses selles ne sont pas dures, déshydratées, elle sont là, liquides, mais ne sortent pas. Inutile aussi de lui donner jus d'orange, pruneaux ou autre médicament, car il n'est pas constipé, il a simplement des selles rares d'enfant au sein qui va bien. Inutile d'aller perturber sa flore intestinale avec un produit autre que le lait maternel ! L'enfant n'aura plus tard aucun problème intestinal ni de constipation (qui se définit par des selles dures, en billes, difficiles à émettre et qui peuvent être à l'origine de fissures anales et de saignement local). Sont réellement constipés certains enfants sevrés et nourris avec un lait industriel, donc en fait avec un lait en poudre à base de lait de vache, et qui ont alors des selles très dures qu'ils ont du mal à faire sortir et qui nécessitent une prise en charge diétético-médicale.
Il arrive que quelques enfants allaités avec des selles rares aient au bout d'une petite semaine l'air un peu gênés. Il est possible alors de leur faire un petit massage abdominal ou de leur chatouiller l'anus avec un coton mouillé par exemple (mais pas avec un thermomètre, qui risque de causer des blessures). Tous les examens radio, lavement baryté, hospitalisation sont strictement inutiles puisque cette situation est banale et très bien connue des personnes qui accompagnent des mères qui allaitent.
Marie Courdent
Animatrice LLL - Puéricultrice - Consultante en lactation - Formatrice en allaitement LLLFF
références
Votre bébé, Dr L. et J. Rossant, Robert Laffont
Allaitement et selles rares, A Quesney et J.P. Lellouche, Prescrire, juin 1985
Mon bébé prend-il assez de lait ?, feuillet LLLF, sept 2002
Les selles du bébé allaité, LLLettre des Associés Médicaux, n° 4, juin 1990